Un an de plus, par Roxanne Tremblay

par Roxanne Tremblay

Il y a un an, Valérie Beauquier qui travaillait avec Julie communiquait avec moi pour m’offrir de parler du fait que j’avais mis un frein à une carrière journalistique prolifique pour me permettre une sabbatique afin de me consacrer à ma passion; la peinture abstraite. Je me souviens d’avoir croisé la belle Julie dans le Vieux-Longueuil quelques mois auparavant et lui avoir raconté tous ces grands changements. Elle aussi s’en souvenait, c’est ça la belle Julie, attentionnée, belle en dedans et en dehors.



De l’extérieur, se consacrer à la peinture, ça fait rêver, ça fait courageux, ça sonne comme la liberté. Plusieurs trouvaient alors que jamais je n’avais eu l’air si heureuse et épanouie, ça faisait plus de six mois que j’avais lâché la prise sur le guidon de mon bicycle professionnel pour suivre les directives du médecin et que je me reposais le cerveau dans mon atelier à coup de pinceaux colorés.

Faire le plein, faire le vide, choisissez. Lors de ma pause, à ne plus vouloir penser à mon avenir, s’est présentée à moi une opportunité, un momentum, une amie de longue date m’a présenté à une galeriste en art contemporain, elle m’a prise sous son aile et nous avons monté une exposition, 52 œuvres avaient été produites au fil des mois, de la peine, de la douleur, de la rédemption, du pardon et de l’espoir, sans mots sur les mots, il y en avait sur les toiles.

Depuis que je suis toute petite, dessiner et peindre est ce qu’il me fait le plus de bien, c’est ce qui fait jaillir le meilleur de moi, j’ai d’abord ressorti les crayons quelques années avant mon crash, ces moments étaient les seuls qui permettaient à mon cœur d’arrêter de se débattre et ma gorge de se dénouer. J’ai alors continué parce que je ne souffrais pas à ces moments et que je voulais m’en sortir.

En fait, le mot sabbatique est romantique, c’était davantage une dépression que je guérissais et un grave problème d’anxiété étalé sur des années qui m’a complètement vidée et rendue dysfonctionnelle, ce qui m’a amené au fond du baril, incapable de faire plus d’une allée à l’épicerie, à ne plus être capable de composer un numéro de téléphone, ni à me souvenir de ma date de naissance (parlez-en à mon médecin!).

« Oui, ça m’intéresse, je trouve ça vraiment gentil que vous pensiez à moi pour le site internet. Je pensais à ça, je pourrais vous faire une série de chroniques pour vous raconter ma dernière année… », avais-je répondu à Valérie il y a un an.

Je n’ai pas écrit la série de chroniques. Il m’aura fallu un an de plus.

Non pas par paresse mais bien parce que j’en avais encore beaucoup à réapprendre sur mes capacités, l’amour venait d’entrer dans ma vie et je ne comprenais même pas ce qui se passait, alors comment se raconter? Vous savez un amour qui change une vie, un amour qui vient avec un bagage, un amoureux qui a avec lui deux enfants jeunes adultes qui ont eux aussi leurs bagages.  À quatre, nous avons déposé nos valises dans le même endroit pour voir où ça nous mène. L’amour m’ayant mise au rencart pendant de longues années, à quarante-trois ans, l’amour se pointait, un amour assez grand pour que je le choisisse et que je m’investisse. Je suis passée de vouloir m’installer à Paris pour ma carrière à m’installer avec mon chum, les deux enfants et nos trois chiens dans les Basses Laurentides. Les premiers mois, vous auriez dû me voir aller, le cœur toujours sur la main, je voulais tellement (trop) être une bonne blonde et une bonne belle-mère, chassez le naturel et il revient au galop, timorée entre le désir de performer et d’être libre et le désir de me poser, je ne savais plus trop comment composer avec cette nouvelle réalité.

La plupart de mes amies sont des femmes de défis, de carrières, cartésiennes et fonceuses, je me suis sentie comme si j’étais la loser émotive et instable de la gang, j’ai dû me repositionner avec elles aussi, non pas à cause d’elles, mais à cause de la perception que j’avais de moi, sans gros projets, sans mes revenus d’auparavant, je me trouvais moins intéressante si je me comparais à elles. Pourtant, c’est le contraire, mes amies proches sont si fières de moi, de cette créativité qui m’habite et de ces choix de vie. On s’admire pour ce que l’on fait de nos vies, pas ce que l’on fait dans la vie, aussi cliché que cela puisse paraître, c’est vraiment ça. No bullshit. J’ai tenté de faire un retour comme journaliste à l’automne dernier au magazine dans lequel j’ai écrit pendant 17 ans et comme ça arrive très souvent, malgré l’engouement de retrouver ma profession, comme des électrochocs, les symptômes d’épuisement sont revenus rapidement. Je vivais avec la honte de ne pas être capable de livrer la marchandise, maudite roue, j’ai appelé ma patronne, il me fallait encore du temps. C’est épeurant, je vais faire quoi maintenant? Mon médecin de famille qui est mon sol dans cette remise sur pieds depuis deux ans m’a lancé dernièrement que plusieurs urgentologues qui ont fait des dépressions majeures ne retournent peut-être pas œuvrer dans les hôpitaux mais peuvent encore pratiquer leur profession dans d’autres contextes. Je réfléchis là-dessus.

L’harmonie à la maison, le soutien de mon amoureux, je suis chanceuse il me permet de me réorganiser tranquillement une vie, cette douceur de la stabilité me réchauffe. Il n’y a pas de morale en finale. Il y a une décennie, je vous aurais dit qu’en cinq minutes, on peut en régler des affaires. Cette pause, ce congé de maladie, cette sabbatique m’aura appris à étirer le temps. Au final, ça aura juste pris un an de plus.

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