Le tango malsain



Les blessures profondes ne guérissent jamais tout à fait.

J’ai été intimidée quand j’étais jeune. Ce n’est pas quelque chose dont j’aime parler parce que j’ai toujours peur de passer pour quelqu’un qui se victimise (pis j’ai ben de la misère avec ceux qui font ça!). Mais bon, les faits sont les faits, ça fait partie de mon parcours, de mon passé.

Pour la petite histoire, à presque tous les jours de mon secondaire 1, y’a une fille, appelons-la Lyne-ma-pas-fine, qui menaçait de me péter la gueule. De m’attendre à la sortie des classes pour me sacrer une volée. Pourquoi? Parce que le gars sur qui elle trippait… avait un oeil sur moi. Même si moi, j’étais zéro intéressée. (Faut savoir qu’à l’époque, j’étais encore ben trop timide pour fréquenter les garçons, mon expérience se limitant à danser un slow à bout de bras avec Steve G. en 6e année.) Pas déniaisée qu’on disait. Mais elle, déniaisée ou pas, elle m’haïssait et voulait passer son message. À grands coups de poing dans face.

Bref, chaque jour de mon secondaire 1, je rentrais chez-moi en pleurs, terrorisée que le lendemain serait LA journée où elle mettrait ses menaces à exécution. Pourquoi je ne me défendais pas? Parce que je n’avais aucune idée comment faire! La technique Bélanger: me taire, essayer d’être invisible, me fondre aux murs et attirer le moins possible l’attention. Je ne savais pas me défendre, ni avec mes poings, ni avec mes mots. Je n’étais pas habituée à une telle violence, un tel discours, ayant grandie dans la ouate, venant d’une famille où j’ai été cajolée et aimée. Le réveil était pour le moins brutal. Je me transformais du coup en un petit chevreuil qui fige devant des spotlights.

Lyne-ma-pas-fine ne m’a finalement jamais rien fait. Grande parleuse, petite faiseuse à ce qui paraît. Mais elle avait réussi son plan sans le savoir: les mots m’avaient meurtrie, blessée. On ne me détestait pas pour quelque chose que j’avais fait, on me détestait pour qui j’étais! Comment veux-tu changer ça? Donc, la meilleure solution que j’ai trouvée pendant des années: baisser ma lumière. Pas déranger, pas attirer l’attention, longer les murs en espérant qu’on ne vous remarque pas. On s’habitue à voir dans le noir, c’est ça le plus triste. Et là, je me créais enfin un semblant de sécurité. Parce que m’exposer était devenu synonyme de danger: plus je me montrais tel que j’étais, plus j’étais vulnérable… et plus on pouvait me faire du mal.

Et c’est fou à quel point ces vieux réflexes nous marquent à jamais.

Ces vieux bobos ont été réactivés dans ma vie d’adulte. Je n’en ai jamais parlé, mais comme ça fait plus de 10 ans maintenant, je crois qu’il est temps. Parce que c’est important d’assumer son passé et que je suis persuadée que plusieurs s’y reconnaîtront. Il y a bel et bien une personne qui a joué un rôle marquant dans mon histoire. Où chacune a repris son rôle respectif, elle la bully, comme elle l’avait fait plus jeune, et moi la fille qui ne savait pas plus se défendre. Le scénario était écrit d’avance (on répète tant qu’on n’a pas compris la leçon à ce qui paraît!). J’ai fait ce que j’avais toujours fait: j’ai baissé la tête. J’ai douté. Je me suis tassée. J’ai perdu confiance… et me suis perdue en chemin aussi. J’ai déjà parlé du burn-out que j’ai vécu, oui je travaillais trop, mais cette relation toxique faisait aussi partie de l’équation.

Aujourd’hui, je suis capable de dire que cette personne m’a rendue service au fond, même si ce n’était sûrement pas son intention. Je devais casser en quelque sortes, j’étais trop dans le perfectionnisme, le travail, la sur-préparation. Je devais surtout apprendre une chose importante: à m’aimer. Assez pour mettre des limites et dire que plus jamais on ne me traitera de la sorte. It takes two to tango. Si j’avais mis des limites, jamais ça n’aurait dégénéré autant! On était 2 dans cette dynamique malsaine. Heureusement, y’a eu du beau après la souffrance! C’est suite à tout ça que j’ai amorcé une thérapie, que j’ai rencontré des gens extraordinaires et que les plus beaux projets sont arrivés dans ma vie. Mais on s’entend que ça m’a pris des années avant d’être capable de dire merci. Y’é longtemps passé de travers dans mon coeur.

Et je réalise vraiment que nos bobos les plus profonds laissent des traces, ne cicatrisent jamais complètement. Ils dictent nos réactions, nos comportements, nos pensées même. Encore récemment, à la seule évocation de son nom, j’ai une réaction physique, l’anxiété, l’angoisse accotés, le cou plaqué, comme si mon corps se rappelait de la douleur. C’est fou pareil!

Faut donc apprendre à vivre avec. Apprendre, surtout, à nous rassurer par nous-même. Parce que je le sais maintenant, qu’y’a pu une Lyne-la-pas-fine qui ne pourra jamais m’atteindre autant.

Je m’aime assez pour me protéger et ne plus jamais laisser personne me traiter de la sorte.

Je ne danse plus ce tango là.

Julie

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